Monet, aux origines de l’abstraction américaine

Claude Monet Les Nymphéas

Les Nymphéas (vers 1915 – 1926) de Claude Monet (1840 – 1926)

L’exposition colorée du Musée de l’Orangerie met en avant la filiation entre la dernière période de Monet et l’abstraction américaine des années 1950. 

L’impressionnisme reste LA star des expositions françaises, le public ne s’en lassant jamais. Pourtant, et ce malgré les efforts des commissaires d’expo qui se démènent pour proposer de nouveaux angles sur l’impressionnisme, on a parfois l’impression d’avoir fait le tour du sujet. Jusqu’à ce que de nouveaux éclairages viennent nous rappeler le caractère inépuisable du mouvement. Actuellement, la tendance est plutôt à l’« international » et à la confrontation fertile d’univers étrangers. C’est le cas de l’exposition « Japonismes / Impressionnismes », actuellement présentée à Giverny. C’est dans cette même démarche que s’inscrit l’exposition estivale du Musée de l’Orangerie. Plus d’un an et demi après l’exposition « La Peinture américaine des années 1930 », l’Orangerie se pare à nouveau de tableaux provenant du Nouveau Monde, afin de les mettre en regard avec les dernières années de Claude Monet.

Saule pleureur (entre 1920 et 1922) de Claude Monet (1840 – 1926)

Il a fallu attendre la fin des années 1940 pour que la dernière période de Monet, celle des Nymphéas, boudée par de nombreux critiques déroutés par son radicalisme, soit réévaluée. En France ? Non, aux États-Unis ! Le critique d’art moderniste Clement Greenberg est l’un des principaux instigateurs de cette réhabilitation. Ses écrits critiques, parmi lesquels « La crise du tableau de chevalet » en 1948 et « American Type Painting » en 1955, soulignent la filiation existante entre les Nymphéas de Monet et l’abstraction américaine de l’après-guerre. Selon lui, « la dernière manière de Monet », qui menace les conventions du tableau de chevalet, « est devenue le point de départ d’une nouvelle tendance picturale ». Greenberg n’est pas le seul critique à se pencher sur la question. Dans son article « Subject : What, How, Who ? » (Art News), Elaine de Kooning, l’épouse de l’artiste Willem de Kooning, invente l’expression qui qualifiera ces artistes américains : « impressionnistes abstraits ».

La matérialité du geste

 

Jean-Paul Riopelle, Sans titre, 1954

Sans titre (détail, 1954) de Jean-Paul Riopelle (1923 – 2002)

De l’action painting au dripping, en passant par le all-over, le colorfield painting et le white writing, l’exposition présente un ensemble de techniques où la matérialité du geste prime avant tout. On déambule parmi les larges aplats irréguliers de Clyfford Still, les cartographies imaginaires de Jackson Pollock redessinant le relief montagnes et vallées, les toiles saturées de couleurs de Mark Rothko, les « paysages urbains abstraits » de Willem de Kooning, les mosaïques de Jean-Paul Riopelle et les puzzles abstraits de Mark Tobey. Nombreux sont les tableaux à convoquer une nature intime réinventée, comme les nuées colorées aux allures d’aurore boréale d’Helen Frankenthaler (Riverhead, 1963) ou les textures vaporeuses et apaisantes de Morris Louis (Vernal, 1960). Les couleurs de Painting (1954) de Philip Guston rappellent même la lumière impressionniste de la Tamise et du Parlement anglais sous le pinceau de Monet.

Riverhead (1963) d’Helen Frankenthaler (1928 – 2011)

L’exposition est surtout l’occasion de mettre en regard les œuvres de Claude Monet et de Jackson Pollock. Ce n’était pas gagné, tant les deux artistes semblent tout d’abord séparés par des années lumières. On peut voir Monet, vêtu d’un costume blanc, le chapeau vissé sur la tête, la clope au bec et la barbe fournie, peindre en plein air, se retournant à chaque coup de pinceau sur le paysage auquel il tourne le dos. Jackson Pollock apparaît quant à lui en jean et en t-shirt, peint en studio, à même le sol. On le voit répandre la peinture sur la toile, subtilement puis plus énergiquement, tel un pâtissier parsemant généreusement de crème chantilly un gâteau. Ce sont surtout les carnets d’esquisse de Monet, minimalistes voire chaotiques, qui permettent d’apprécier davantage la filiation des deux artistes.

 

 

Untitled (vers 1949) de Jackson Pollock (1912 – 1956)

En réhabilitant les productions tardives de Monet, la critique américaine n’a pas seulement remis en lumière le caractère précurseur du génie impressionniste. Mettre à jour la filiation entre Monet et l’abstraction américaine – qu’elle soit expressionniste, lyrique ou impressionniste –, c’est légitimer toute une génération d’artistes comme héritière de l’avant-garde européenne. Le marché ne s’y est pas trompé : le courant abstrait américain est devenu l’un des plus rentables de l’histoire de l’art.


Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet, jusqu’au 20 août au Musée de l’Orangeriehttp://www.musee-orangerie.fr/fr/evenement/nympheas-labstraction-americaine-et-le-dernier-monet

 

Une réflexion sur “Monet, aux origines de l’abstraction américaine

  1. Philippe Dupuy dit :

    Expo assez décevante tant les tentatives de relier Monnet à d’hypothétiques « héritiers » américains sont tirées par les cheveux

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